La National Football League (NFL) est aujourd’hui en pleine révolution. Depuis plus d’une décennie, le fléau des commotions cérébrales et ses atteintes sur la mémoire sont au coeur des débats. La plus grande ligue de sport américaine doit protéger ses joueurs. Elle ne peut plus se cacher, elle ne peut plus mentir, elle doit d’agir.
Un plaquage violent heurtant sa tête, une semaine de chambre noire, des pertes de mémoire et un arrêt forcé du football américain. C’est l’histoire du frère d’Emmanuel Rochet, ancien joueur universitaire aux Etats-Unis, qui n’a pas souhaité revenir personnellement sur son histoire. Aujourd’hui sous traitement pour pallier à ses pertes de mémoires et de concentration, sa mémoire sera peut-être toute sa vie impactée par cet événement. Emmanuel, lui aussi joueur de football américain, au Canada, a, comme son grand frère connu des déboires sur les terrains. « J’ai eu deux grosses commotions , sans symptômes graves. Mais j’ai parfois la mémoire à court terme qui flanche un peu ». Soit les deux frères n’ont pas de chance dans la vie, soit les commotions cérébrales et leurs conséquences sur la mémoire sont monnaie courante dans le sport préféré des américains. La première hypothèse est caduc, les deux frangins ne sont pas des cas isolés. « J’ai déjà oublié le reste du match voire le match entier après un choc, c’est arrivé plusieurs fois. », admet Joe Burrow dans un podcast américain spécialisé , quarterback des Bengals de Cincinnati en NFL. Malgré la récurrence de ce genre d’incidents, les joueurs ne sont pas protégés et suivi si l’on se fie à l’expérience des frères Rochet, « A l’Université, il y a aucun accompagnement, tu te débrouilles tout seul ! », confie-t-il, désabusé.

« Vous pouvez établir toutes les règles que vous voulez pour rendre le jeu aussi sûr que possible, mais vous avez des hommes de 150kg qui courent à 30 à l’heure en essayant de vous faire perdre la tête ». Les mots fatalistes de Joe Burrow résument très bien ce qui se passe aujourd’hui dans le football américain. La violence des impacts fait partie intégrante du jeu. Ce n’est pas l’ancien président des Etats-Unis, Donald Trump, qui s’opposerait à ces propos. En 2019, l’ancien homme d’affaire avait déclaré en marge du superbowl, « je ne le pousserais pas à pratiquer le football américain », en parlant de son fils de 12 ans. Mais pour les plus conservateurs, le football américain requiert de mettre sa santé en danger. Le quarterback des Bengals n’est pas beaucoup plus nuancé : « Tu vas avoir des blessures à la tête. C’est le jeu auquel nous jouons, c’est la vie que nous vivons et nous sommes grassement payés pour ça ». Le jeu en vaut-il la chandelle ? D’après le neurochirurgien français, Arnaud Dagain, pas vraiment : « Une commotion cérébrale dans une vie, ce n’est pas dangereux, mais c’est la répétition qui va aggraver les risques d’avoir de potentiels séquelles sur la mémoire à long terme ». D’autant plus que la mémoire n’est pas impactée simplement par un choc violent, « les séquelles c’est une question d’intensité, mais c’est avant tout une question de fréquence », appuie le neurochirurgien.
Des études poussent la NFL à évoluer
De nombreuses questions émergent sur les séquelles cérébrales qui touchent les joueurs aux Etats-Unis, jusqu’au plus haut sommet de l’Etat en 2019, par le biais de l’ancien président, Donald Trump : « c’est un sport dangereux ». On peut difficilement lui donner tort, et l’histoire non plus. Au début des années 2000, le médecin légiste Benet Omalu est le premier avoir identifié des encéphalopathie chronique traumatique (ECT) chez d’anciens joueurs de NFL. Une maladie neurodégénératives identifiables uniquement post-mortem, mais avec des symptômes tout de même connu, notamment des troubles de la mémoire à court et long terme. Des travaux que le neurologue français, Jean-Francois Chermann a approfondi sur des sujets vivants dans son étude Ko, sujet qui dérange : « On a étudié des cerveaux de joueurs de foot US, et on sait que très probablement, quand on prend un coup sur la tête, ça peut entraîner des ECT ». D’après une étude américaine réalisée par l’Université de Caroline du Nord en 2015, sur 91 joueurs décédés examinés post-mortem, 87 souffraient d’ECT. Une autre recherche menée par l’Université a affirmé que les ex-joueurs professionnels âgés de 30 à 49 ans avaient 19 fois plus de chance d’être affectés par la maladie d’Alzheimer ou d’une maladie causant des troubles de la mémoire. Une thèse qu’Arnaud Dagain confirme « Au niveau de la mémoire, les commotions à répétition vont accroître le risque de maladie neurodégénératives, type Alzheimer."
Malgré les liens avérés entre maladie neurodégénérative et football américain, la NFL a longtemps fait preuve d’un certains cynisme vis-à-vis de cette problématique, réfutant la majeure partie des études, les qualifiant d’incomplètes et d’erronées. Malgré tout, les différentes recherches ont fait bouger les lignes, assez pour qu’en 2013, 4500 anciens joueurs intentent un procès contre la NFL, les accusant d’avoir caché les dangers des commotions répétées et d’avoir tout fait pour bloquer les études scientifiques. Dos au mur, la plus grande ligue de sport nord-américaine réussit à s’en sortir avec un argument massue, des millions de dollars. 765 millions de dollars, c’est le montant de l’accord financier avec les plaignants, permettant à la NFL d’éviter le procès et de ne pas reconnaître que les blessures des plaignants aient été causées par le football américain. Malgré cette victoire, la mémoire des jeunes américains semblent être plus importante que le sport aux Etats-Unis, la pratique du football américain chez les jeunes est en baisse depuis 2015. Certains établissements scolaires ont même décidé de supprimer leur équipe de football. Une prise de conscience nécessaire, qui pousse aujourd’hui la NFL à évoluer sur le sujet.
Du changement mais les questionnement persistent
Sous la contrainte de la pression populaire, les choses ont évolué dans le bon sens en NFL. « Il y a encore 10 ans, ils prenaient un coup à la tête ils tombaient et retournaient sur le terrain sans problème. », ce qui n’est plus le cas en 2023 affirme Alain Mattei, fondateur du média spécialisé Touchdown actu. D’après lui, les perceptions des joueurs ont changé, ils se soucient davantage de leur santé. De plus, les protocoles ont changé, des médecins et neurologues indépendants interviennent en cas de suspicions de commotions, et le suivi post-commotion est bien plus stricte qu’auparavant. Pour autant, des situations problématiques perdurent. En 2022, le quaterback des Dolphins de Miami, Tua Tagovailoa, a subi deux énormes chocs à la tête en seulement cinq jours. Lors du premier choc, il a pu reprendre le jeu après le protocole commotion, or, à la suite du choc, il ne pouvait marcher seul et s’est même effondré après s’être relevé, des signes qui auraient dû l’empêcher de revenir sur le terrain. Ce genre de situation soulève quelques doutes, y compris chez le spécialiste français du football américain, « On ne pourra jamais ôter le doute de savoir si les tests commotions sont bien réalisés ou non. »

Aujourd’hui, la NFL tend à sécuriser davantage les joueurs, parce qu’elle n’a pas le choix. « C’est du business », affirme justement Alain Mattei, et dans leur cynisme, ils n’ont plus d’autres choix que de travailler dans ce sens. En parallèle de l’évolution de la conscience des joueurs , les fans eux-mêmes, si l’on oublie les conservateurs, ne souhaitent plus voir leurs stars commotionnées une semaine sur deux et être atteints d’encéphalopathie chronique traumatique. Les règles changent, des plaquages autorisés il y a encore de cela cinq ans sont désormais illégaux. Pour autant, à l’instar de Joe Burrow, la mémoire des joueurs est toujours en danger. Les qualités physiques des joueurs sont de plus en plus hautes, ils courent plus vite, sont plus fort et allient même souvent les deux. Assez de raison pour Alain Mattei pour qui la sécurité des joueurs « reste le problème numéro un de la NFL aujourd’hui ». Les récents événements de 2022 avec Tua Tagovailoa ne plaident pas en faveur de la ligue de nord-américaine, qui est encore régulièrement chahutée sur sa gestion des commotions cérébrales. Malgré ses tentatives de réfutation face aux différentes études prouvant les liens entre trouble de la mémoire et football américain. La NFL doit se résigner face à la véracité de ses résultats. En toute conscience, pour protéger la mémoire de ses joueurs, la sienne ne devra pas être sélective.