Le running explose dans le monde entier. Un chiffre : 13,5 millions de coureurs en 2019. Leur nombre a été multiplié par trois en cinq ans. Un business très lucratif pour les marques. Derrière les pompes fluo se cache un marketing bien fu- selé. D’ailleurs, c’est l’heure de mon footing ! J’enfile un short Under Armour, un tee-shirt Nike et des baskets Asics. Je suis enfin prêt... 

Running : A way of style 

Aujourd’hui, nous sommes dans une société où le style, le beau et le confortable se conjuguent. Le running n’est pas exempt de ce trip- tyque. Révolu le temps des joggings et baskets que l’on voulait cacher au fond du placard une fois l’activité terminée. Désormais, mode et running font la paire. L’énorme popularité du running a fait naître des gammes d’articles de running aussi élégantes et stylées que confortables et performantes. Que ce soit Nike, Adidas ou Asics pour ne citer qu’eux, ils nous donnent envie de courir, et surtout de le faire en étant stylé. C’est ce que nous dit Jordi, coureur visiblement habillé de la marque au swoosh de la tête aux pieds : « J’aime bien les fringues Nike, c’est stylé ! Leurs vêtements mixent sport et esthétisme, ils ne sont pas purement fonctionnels ».. Les grandes marques semblent parfaitement maîtriser l’art de l’esthétisme au service de la performance. Ces multinationales de l’équipement sportif réussissent à nous faire courir sur le bitume, mais encore plus vers leurs magasins ! Les marqueteurs usent - et abusent - du storytelling, cette arme de destruction massive des portes monnaies. Ce récit marketing va jouer sur l’affect du consommateur en suscitant du désir, voire même en provoquant la peur, celle de manquer l’exclusivité. « La peur est l’émotion qui pousse à prendre des décisions irrationnelles », pour reprendre les mots d’ « enjoy marketing », un site Internet spécialisé dans le marketing. La baseline « Just Do It » promet un storytelling sans faille. Nike nous tient en haleine durant ces spots publicitaires avec des musiques intenses et des grandes person- nalités entièrement relookée à son effigie, en dévoilant le produit seulement à la fin du spot publicitaire. Ce genre d’actions marketing parvient à ces fins : nous faire ressembler à de véritables stabilos tout droit sortis d’une trousse de collégien alors qu’au départ, l’objectif était seulement d’être confortable pour courir. 

« Les influenceurs runners », instruments des marques 

Les « influenceurs runners » de la génération Y séduisent les marques de running par leurs milliers de followers sur Instagram. De l’autre côté, des marques qui mettent en scène des instagramers. En collaborant avec les célèbres marques Nike, Adidas, Under Armour et compagnie, ils permettent à ces grandes marques de vendre encore mieux leurs produits running par une technique en vogue : le placement de produits. Parmi ces influenceurs sportifs, on retrouve l’instagrameuse @annedubndidu, une jeune française au tempérament enthousiaste qui partage avec sa chère communauté ses exploits sportifs en arborant fièrement une brassière et un legging Adidas et cela sans oublier de mentionner adroitement la marque dans sa description. Dans un autre post, elle incite clairement à l’achat : « Je ne quitte plus les #nikeinfinityreact dispo chez @intersport », consciente de son influence sur ses 116 000 fans. Selon l’étude « Reech 2019 », 95% des influenceurs informeraient leur public sur leur partenariat et d’après l’étude de l’Argus de la presse en 2017, 48% de leur audience veulent « mieux consommer » en faisant confiance aux produits testés par ceux qu’ils suivent sur Insta. Frédéric, ce runner invétéré d’une trentaine d’années que nous avons rencontré, nous livre : « Pour les chaussures, j’ai récemment acheté une paire de New Balance. J’avoue que j’ai été influencé de toute pièce par RunningAddict et Niko, un influenceur canadien ». Ces instagramers sont bien plus que des influenceurs, ils deviennent des ambassadeurs de marques. Plus qu’un moyen de rayonnement des marques et d’un gagne-pain pour l’influenceur, Instagram est devenu en 2019 la première plateforme d’engagement des marques utilisée dans le monde entier. Les marques l’ont bien compris : surfer sur la tendance des « influenceurs runners » est un marché qui leur profite. 

L'instagrameuse @annedubndidu  toujours accompagné de sa paire de Nike aux pieds. Crédit : L'Equipe
Marketer le dépassement de soi 

« J’ai acheté une montre Garmine : la For Runner 935 ! Je voulais améliorer mes performances. Elle est un peu mon partenaire virtuel d’entraînement ! », nous disait Frédéric. Marketing quand tu nous tiens, tu nous retiens. Parce que courir, c’est un peu souffrir et revient à se dépasser, les marques nous aident à poursuivre nos efforts à travers une idéologie marquetée du dépassement de soi, de manière à transcender cette association dommageable pour la transformer en plaisir. Double plaisir : plaisir de courir et plaisir de consommer. Ouf, l’équation est résolue. Les bénéfices des marques s’envolent et le jogger mollasson du dimanche est transformé en « super runner » averti. Comment le marketing façonne-t-il cette culture du dépassement de soi ? Le champ lexical des marques est largement marketé en ce sens. On visualise très bien le « Just Do It » de Nike ou le « Impossible is nothing » d’Adidas, incitatifs à se surpasser pour se sentir valorisé. Ces injonctions sportives créent des normes et ont vite fait de faire culpabiliser les « autres » : les non-sportifs. Les marques font aussi régulièrement appel à de grands champions dans leurs spots publicitaires. Under Armour a signé un partenariat avec Teddy Riner, l’homme fort du judo français. Une idée derrière la tête : Si un grand sportif, qui plus est, champion du monde, porte Under Armour, vous allez vous dire que c’est la marque portée par les champions, garantie ultime que la marque fonctionne, et vous allez acheter Under Armour. Rafael Lefort, directeur de la région subméditerranéenne pour Under Armour, revient sur le message marketing de la marque dans une interview pour Sport Buzz Business en 2017 : « Aujourd’hui, notre communication est sur la performance, être « young, agressiv and fearless. On parle d’efforts, de persévérance, qui amèneront plus tard aux succès et c’est là-dessus que l’on va communiquer ». L’idéologie du dépassement de soi est également présente dans les événements sportifs collectifs qui sont un moyen, pour les marques, de rayonner et pour les runners, de se retrouver en communauté. L’événement « Adidas 10K Paris » est un bon exemple d’une grande communauté de runners, liés par un sentiment d’appartenance, le tout renforcé à l’aide d’un kit de lots Adidas (un sac, des bons d’achat), délivré à chaque participant, pour poursuivre le running et... acheter Adidas, faisant de l’événement une vitrine et une énorme carte de fidélité. On s’abonne ?

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Comment les grands groupes se sont infiltrés dans le running ?


Les marques ont mis du temps mais quand elles ont réalisé que les gens étaient prêts à courir sur du béton avec des baskets à 200 euros, elles se sont glissées dans la brèche. Beaucoup, comme Nike, ont commen- cé avec le sport haut niveau, qui est en fait une vitrine. Leur but est de trouver com- ment on monétise à l’échelle grand pu- blic le fait que les sportifs soient des héros et que l’on ait envie de leur ressembler. Le style et la technologie sont entrés en ligne de compte et poussent à la consommation. Il y a un effet de groupe aussi, on a envie d’avoir les mêmes nouveautés que l’autre. 

Donc on court parce qu’on vient de s’acheter des jolies baskets ?


C’est le serpent qui se mord la queue : quand on court, on a envie de nouvelles baskets et quand on a des nouvelles baskets, on va courir. Ce n’est pas pour rien que le Salon du running se tient deux jours avant le Marathon de Paris. 

Dans le discours marketing de Under Armour que vous connaissez bien, on parle de « performance », de « persé- vérance » et d’ « innovation ». Ce discours fonctionne ? 

Clairement. J’appelle ça la mystique du sport moderne. Le sportif est représenté comme un modèle à suivre et les marques en jouent. Leur story telling va dans le sens du dépassement de soi, associé à la per- fection, et se dépasser, c’est être mieux que son voisin, qui lui, ne court pas. Soyez des gens biens, soyez spéciaux, courez !